S’il y a bien un sujet avec lequel on ne badine pas à Rodrigues, c’est celui des régates.
Pour ces frères de la côte, être un bon régatier est avant tout une question d’honneur. Non seulement pour son équipage, mais aussi parce que ce dernier représente son village et la réputation de ces navigateurs. Depuis des générations, les Rodriguais ont un rapport privilégié avec ces joutes marines au gré des vents. Les régates font partie de leur ADN. Il existe d’ailleurs une ligue très active et les noms de certaines pirogues sont très populaires tout le long du littoral : Cyclone, Lichien, Frégate, La Flamme…
J’ai souvent photographié les régates à Maurice et, durant mon passage à Rodrigues, il fallait absolument que j’immortalise sur pellicule argentique un tel événement. Sur un scooter, rendez-vous au village de Graviers. Sur place, j’ai fait la connaissance de mon contact local, le très sympathique « Bobo », qui est un peu le « Master of Ceremony » de ces compétitions. Très attaché aux traditions, il fait partie de ces quelques passionnés qui se battent contre vents et marées pour que cet art survive.
Sous un soleil écrasant, on réalise vite que le départ n’aura pas lieu avant une bonne paire d’heures : sur cette petite île, on sait encore prendre le temps de vivre. Peu importe, la préparation des pirogues est à elle seule un spectacle. C’est le moment où les concurrents font les derniers réglages de leurs voiles et autres gréements. On discute stratégies, vents et voiles. Pendant que les enfants barbotent dans l’eau, les villageois s’installent à l’ombre des filaos. Les alizés portent une odeur de grillades et le son des ravannes.
“Malheur à l’équipe qui chavire ! Malgré une ambiance bon enfant, il faut gagner.”
À Rodrigues, les pirogues de régates, qui servent aussi à la pêche artisanale, ont la particularité d’être plus petites, plus fines et surtout, plus pointues aux deux extrémités. L’équipage est réduit à 4 ou 5 marins, chacun dévolu à des tâches spécifiques à accomplir durant les manches. Le capitaine est seul maître à bord : il tient la barre et donne le tempo. Une réelle connaissance des vents, des marées, de la typographie de la côte est primordiale.
Une fois le départ lancé, le lagon devient une immense aire de jeu tachetée de voiles multicolores. Sur la plage, la température monte. La foule, qui était presque assoupie, s’enflamme soudainement. Le spectacle se passe au fil de l’eau, mais aussi sur le rivage. Une fois élancées, les embarcations usent de stratégies pour prendre l’ascendant sur leurs concurrents : bord de près, grand largue… Les barques louvoient et virent de bord à chaque rafale. Sur la plage, l’ambiance est festive : les spectateurs sont au taquet et hurlent les noms des pirogues, les vieux
À bord, l’atmosphère est plus tendue. Les matelots souquent fermement et obéissent aux ordres du capitaine. L’enjeu étant d’importance, les esprits à bord s’échauffent et des noms d’oiseaux fusent d’une pirogue à l’autre quand elles se croisent aux bouées. Malheur à l’équipe qui chavire ! Malgré une ambiance bon enfant, il faut gagner.
Ce jour-là, c’est le capitaine du canot « La Flamme » et sa vaillante équipe qui remportent une belle victoire. À coup sûr, la grande coupe scintillante du vainqueur trônera fièrement au milieu du salon… Jusqu’à la prochaine étape.
Ce n’est pas grave si vous ne maîtrisez pas le jargon des voiles et le sens du vent. Au-delà de la prestation sportive, ces régates de pirogues traditionnelles ont l’avantage de rassembler les communautés, de développer la convivialité et de maintenir vivant l’héritage d’un beau patrimoine.
Dès que le vent soufflera… À Rodrigues, tu partiras.
Récit & photos • Keivan Cadinouche